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Appel à communications : (In)égalités, (In)justices. La valeur des femmes, Genesis

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Date(s) - 01/03/2022
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Anna Bellavitis, Monica Martinat

Les inégalités ont toujours accompagné les sociétés humaines de diverses manières. Elles sont à la base de véritables hiérarchies de richesse, de prestige, d’honneurs, de culture…, mais aussi à la base d’idéologies qui les légitiment ou les condamnent, en général et en particulier.

De nombreux historiens et économistes sont actuellement aux prises avec ce problème, avec un œil sur un passé plus ou moins long et l’autre, central, sur le présent et l’avenir.  Pour ne citer que quelques ouvrages de synthèse et de diffusion – relativement – large, on peut penser au récent livre de l’économiste français Thomas Picketty qui, partant d’une critique acerbe du capitalisme actuel et de ses apories, se consacre à jeter un regard plus direct et explicite sur le thème de l’égalité et de son histoire (Picketty, 2021) ; ou à celle, publiée quelques années plus tôt par l’historien Walter Scheidel, qui porte une attention particulière aux moments où et aux raisons pour lesquelles, dans l’histoire des sociétés humaines, la courbe des inégalités s’est inversée (Scheidel 2017). La semaine d’étude 2019 organisée par l’Institut Datini de Prato, et consacrée aux inégalités économiques, restreintes dans ce cas aux sociétés préindustrielles, a été inspirée par ces deux œuvrages pour aborder, d’un point de vue plus particulier et local, le même thème,  considéré à juste titre comme absolument central dans le débat contemporain (Nigro, 2020). L’historien du droit Aldo Schiavone a également apporté une contribution importante, en proposant une lecture du thème orientée avant tout vers les concrétisations juridiques qui accompagnent les inégalités dans le temps (Schiavone 2019).

Ces textes ont tous en commun une certaine indifférence à l’égard des inégalités entre les sexes, qui, pourtant, même d’un point de vue économique, ont toujours accompagné l’histoire humaine. Ce silence implique, entre autres, une distorsion de la perspective générale des analyses : même l’histoire des chemins vers l’égalité semble ne concerner que l’univers masculin et ne remet pas en cause le fondement et la légitimité de positions analytiques et politiques qui se permettent d’évaluer le monde comme plus ou moins juste, sans tenir compte de l’inégalité substantielle entre hommes et femmes, qui est considérée comme allant de soi au point qu’elle en devient (à nouveau) invisible. La perspective fondée, d’une part, sur le temps long, voire très long, et, d’autre part, sur les aspects (macro)économiques des inégalités unit davantage ces études.

Comment corriger ces perspectives qui semblent sortir une fois de plus les femmes du champ de l’analyse concrète, les privant de toute pertinence pour mesurer le progrès ou la régression des sociétés humaines en matière d'(in)égalité ? Nous sommes confrontés à la reproposition d’une analyse historique qui refuse de prendre pleinement en compte les contributions conceptuelles apportées dans le domaine de l’histoire des femmes et du genre.

Une voie utile pour modifier cette image déformée de la réalité historique nous semble être une double correction de trajectoire. D’une part, il s’agit de réduire l’échelle de l’analyse historique et économique afin de retracer les innombrables chemins tracés par et pour les protagonistes eux-mêmes – individuels et collectifs – au sein de sociétés dominées par des conceptions spécifiques de l’inégalité, fondées à leur tour sur des visions caractéristiques de la justice et de l’équité qui ne se manifestent pas uniquement dans les sphères économiques. C’est précisément pour cette raison qu’il s’agit aussi de remettre au centre de la scène historique l’imbrication des différentes dimensions de la vie et des pratiques sociales. Si, au moins jusqu’à la ” Grande Transformation ” décrite par Polanyi, l’économie était systématiquement et effectivement intégrée dans une dimension sociale plus large, il est nécessaire de redonner à cette dimension tout le poids qu’elle a dans l’explication des faits et des comportements, y compris économiques, des acteurs sociaux, ne serait-ce qu’en raison de l’influence que cette dimension plus large a dans la définition des scénarios idéologiques possibles, des catégories au sein desquelles l’action est pensée et évaluée, et la justice pensée et retravaillée.

L’objectif de ce numéro de Genesis est donc de rassembler des contributions spécifiques qui nous permettent de réorienter l’analyse dans une direction plus adéquate et ouverte des inégalités dans l’histoire générale à partir de la partialité de l’histoire des femmes, et aussi à partir d’une critique de la littérature historiographique et économique existante.

“La valeur des femmes” nous semble être un sous-titre capable de suggérer les chemins à suivre, en se concentrant sur l’analyse de la valeur économique, juridique, sociale… attribuée aux femmes – à leur travail, à leur parole, à leur capacité juridique, intellectuelle, politique – dans différents contextes chronologiques et culturels. Cette valeur, attribuée par les institutions, les systèmes juridiques, mais aussi par les normes sociales, peut être quantitative – comme dans le cas des salaires – mais aussi se référer à des aspects plus intangibles – la valeur du témoignage des femmes dans les tribunaux ou la valeur des femmes dans certaines religions, par exemple. Ceci peut être observé tant du point de vue des normes que de celui des actions individuelles et collectives visant à “corriger” les inégalités créées par les normes elles-mêmes lorsqu’elles sont perçues comme injustes, contraires à une idée subjective de la justice à appliquer au cas par cas.

Cette perspective en ouvre une autre, concernant les idées implicites de justice et d’injustice qui sous-tendent les pratiques redistributives, que ce soit à l’échelle collective et institutionnelle ou individuelle. Selon quels critères la position relative des individus et des “groupes” (y compris les femmes) dans une société donnée est-elle déterminée ? Comment l’inégalité des femmes est-elle systématiquement réitérée, affirmée et reproposée dans tous les domaines – de l’économie à la politique, des droits à la religion, en passant par la culture et l’accès à l’éducation ? Quels sont les discours et les pratiques qui la sous-tendent au fil du temps ? Comment ces conceptions évoluent-elles, intervenant dans les transformations sociales fondamentales dont elles sont elles-mêmes issues ? A quels niveaux – individuel, collectif, normatif ou informel… – peut-on enregistrer des actions redistributives qui montrent, entre autres, l’agency des femmes dans le rétablissement de formes particulières d’équité ?

Le passage au monde contemporain, à l’ère de l’égalité comme horizon partagé, est certainement un champ d’étude fondamental, qu’il convient de réinvestir à partir de l’analyse des critères qui président au maintien des inégalités fondamentales (en droit et en fait) désormais inscrites dans un horizon qui, à la différence de la période pré-contemporaine, imagine l’égalité comme possible, sinon souhaitable. Comment les femmes se comportent-elles dans un monde où l’égalité proclamée fait écho à une inégalité réelle confirmée ? Quels types d’actions – et avec quels résultats – sont entrepris pour redresser un état de fait qui va à l’encontre d’un droit idéal ?

 

Les contributions proposées devront aborder ces questions par le biais d’études de cas spécifiques ou de réinterprétations critiques de la bibliographie plus ou moins récente, économique, historiographique et historico-juridique, relative aux questions d’inégalité, dans une perspective de genre.

 

Bibliographie

  • Guido Alfani e Matteo di Tullio 2019, The Lion’s share. Inequality and the Rise of the Fiscal State in Preindustrial Europe, Cambridge UP
  • Céline Bessière e Sibylle Gollac 2020, Le genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités, La Découverte
  • M. Bracke, R. Clifford, C. Donert, R. Glynn, J. McLellan, & S. Todd (2019). “Women, Work and Value in Post-War Europe: Introduction”, Contemporary European History,28(4), 449-453
  • Laura Lee Downs, “Wages and the Value of Work. Women’s Entry into French and British Mechanized Industries Under Conditions of Inequality (1914–1920)”, Travail, genre et sociétés, 2006/1 (No 15), p. 31-49
  • Giovanni Levi 2003, “Aequitas vs. Fairness. Reciprocità ed equità fra età moderna ed età contemporanea”, Rivista di storia economica, 2, p. XX
  • —– 2015, “Breve storia della società ingiusta”, Psiche, 1, p. XX
  • Hélène Périvier, 2020 L’Economie féministe. Pourquoi la science économique a besoin du féminisme et vice-versa, Les Presses de Science Po
  • Thomas Picketty 2013, Le Capital au XXIe siècle, Le Seuil
  • —– 2021, Brève histoire de l’égalité, Le Seuil
  • Walter Scheidel 2017, The Great Leveler. Violence and the History of Inequality from the Stone Age to the Twenty-First Century, Princeton UP
  • Aldo Schiavone 2019, Eguaglianza. Una nuova visione sul filo della storia, Einaudi

Les propositions d’articles inédits, en italien, français, anglais ou espagnol, doivent comporter environ 3000 caractères (400 mots) et parvenir aux rédactrices du numéro Anna Bellavitis (anna.bellavitis@univ-rouen.fr) et Monica Martinat (monica.martinat[@]univ-lyon2.fr) au plus tard le 1er mars 2022

Ils devront contenir une indication des sources utilisées et quelques références bibliographiques, et être accompagnés d’une brève note bio-bibliographique de l’auteur.

Les articles sélectionnés pour la publication, qui seront communiqués par mail, ne devront pas dépasser 50 000 caractères (8000 mots), espaces et notes de bas de page inclus, et parvenir aux coordinatrices avant le 15 juin 2022.

Les textes feront l’objet d’une lecture éditoriale et en double aveugle. La publication du numéro 2/2022 de la revue est prévue pour décembre 2022.

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