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Date(s) - 20/11/2024 - 04/01/2025
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Un nouveau cycle de séminaires sera lancé en 2025 pour encourager le développement de la recherche sur l’histoire de l’ESS, dans une perspective internationale et interdisciplinaire
Rares sont les travaux historiques qui se sont penchés sur la question du rapport qu’a pu entretenir l’économie sociale au colonialisme. En 1995, B. Gibaud s’intéressa à la Mutualité coloniale, sur laquelle travaille aujourd’hui A. Kitts. En 2017, M. Dreyfus a abordé l’histoire de la coopération agricole en Afrique du Nord, de l’entre- deux guerres aux années 1960. Des discussions avec des historiens du colonialisme confirment que des mouvements d’économie sociale – associations, coopératives et mutuelles – ont fonctionné dans les territoires colonisés.
Dès le début du XIXe siècle, des mouvements précurseurs de l’économie sociale se lancent dans l’aventure coloniale. C’est le cas notamment des saint-simoniens en Algérie, ainsi que des fouriéristes qui revendiquent l’installation de colonies agricoles et industrielles, plus connues sous le nom de phalanstères. Des communautés sont ainsi créées en Amérique par des phalanstériens ou des icariens. Ces projets coloniaux ont par ailleurs la particularité de s’opposer à l’esclavage en rêvant de réorganiser le travail sous des formes communautaires associatives (projet colonial de J. Lechevalier en Guyane, colonie du Sig en Algérie). En Angleterre, dans les années 1850, le projet de l’Universal Purveyor, qui devait unifier les coopératives de consommation, propose de refuser d’acheter des produits issus de l’esclavage et introduit la notion de “fair price” qui pourrait être considéré comme un lointain ancêtre du commerce équitable. Sur ces projets, des socialistes se retrouvent aux côtés de chrétiens sociaux, dont le rôle dans les communautés coloniales en lien avec l’économie sociale est très important (proches d’Ozanam, Lacordaire, Christian Socialists, etc.).
L’économie sociale et le colonialisme se développent tous deux à la fin du XIXe siècle. Le colonialisme connaît son apogée dans l’entre-deux guerres, époque à laquelle les mouvements coopératif et mutualiste progressent également fortement. En revanche, est alors oubliée la perspective d’une économie sociale unifiée, défendue vers 1900 par C. Gide, qui s’avère critique à l’égard du colonialisme. Coopération et mutualité poursuivent leur progression après la Libération, de manière parallèle tandis que la progression de l’économie sociale semble en berne. Vers 1960, H. Desroche forme des cadres coopératifs en Afrique au moment où les colonies prennent leur indépendance.
Cette histoire commune se caractérise par son ampleur et sa diversité. Le colonialisme s’exerce sur des sociétés très variées, mais toutes en majorité paysannes, ce qui explique un certain développement de la coopération agricole ; mouvement essentiellement urbain, la mutualité y reste limitée. Les mouvements d’économie sociale existent sous deux formes dans les colonies. Certains, antérieurs à la colonisation – les sociétés indigènes de prévoyance au Sénégal -, organisent la solidarité villageoise, alors que, à partir du début du XXe siècle, d’autres sont impulsés par les colonisateurs : ainsi la Mutualité coloniale fondée au Musée social couvre les fonctionnaires mais non les indigènes. Les coopératives agricoles sont 120 en 1918, 250 en 1930 et 530 en 1956 en Algérie ; elles existent aussi au Maroc et en Tunisie. Qu’en est-il des associations, y compris celles intervenant auprès des colonisés en métropole, notamment celles dirigées par des notables catholiques jusqu’à la Libération ? Elles sont liées à l’Office central des œuvres de bienfaisance (OCOB), qui fusionne avec le Musée social pour constituer le CEDIAS en 1963.
Un séminaire est organisé depuis deux ans par le CEDIAS sur l’histoire de l’ESS : il se consacrera cette année aux rapports de cette dernière avec le colonialisme. Les pistes de recherches sont nombreuses. Les Alsaciens-Lorrains arrivés après 1870 en Afrique du Nord ont-ils constitué associations, coopératives et sociétés de secours mutuel ? Des critiques du colonialisme (Savorgnan de Brazza, Félicien Challaye) ont-ils accordé une attention particulière à des formes d’entraide sociale ? Le Musée social s’est-il penché sur la question coloniale, notamment à travers Jules Siegfried, son premier président ? En vendant des produits tels que le Banania, le riz et le thé indochinois, la Fédération nationale des coopératives de consommation (FNCC) a-t-elle contribué à propager l’état d’esprit colonial si puissant en France entre les deux guerres ? A-t-elle ouvert des succursales dans les colonies ? Les Assurances sociales (1930) ont-elles favorisé l’essor de la mutualité dans les colonies, comme elles l’ont fait en métropole ? Peu après la Libération, la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) a mis en place un centre médical en Algérie : comment a-t-il fonctionné durant les huit ans de guerre et qu’est-il devenu après avoir été légué à la jeune Mutuelle des enseignants Algériens ? Des réalisations similaires ont-elles vu le jour au Maroc, en Tunisie et dans les autres colonies jusqu’à leur indépendance ?
Des administrateurs coloniaux – Lyautey, Sarrault et Violette – ont-ils favorisé la création d‘associations, de coopératives et de sociétés mutualistes, notamment pour ces dernières dans l’armée, l’administration, la poste et chez les enseignants ? De quelle façon ces mouvements impulsés « d’en haut » par les colonisateurs ont-ils été ressentis par les indigènes ? N’y ont-ils pas opposé des freins culturels, surtout à partir des années 1930 où l’idée de l’indépendance des colonies fait alors peu à peu son chemin ? Y a-t-il eu un développement différencié et/ou spécifique des associations et des mouvements d’économie sociale, entre les populations colonisées et les colons ? Il ne faudra pas oublier les actuels Départements et Territoires d’Outre-Mer, issus de l’empire colonial : ainsi nombreuses sont les sociétés de secours mutuels en Martinique et en Guadeloupe au XIXe siècle, dans lesquelles les femmes jouent un grand rôle. Des monographies permettront d’établir une synthèse du poids économique et social des mouvements d’économie sociale.
Si l’économie sociale a pu s’implanter inégalement dans des sociétés coloniales, il importe de revenir sur sa responsabilité dans les processus de domination, comme l’ont montré les travaux sur l’orientalisme des saint-simoniens ou les nombreux travaux sur le colonialisme des socialistes des XIXe et XXe. (JL Marçot, M. Faroua, A. Mejri, G. Vergnon); mais aussi de montrer les pré-dispositions des sociétés traditionnelles à accepter des projets d’économie sociale. Ainsi, la tradition des Igoudars au Maroc permet d’inscrire l’économie sociale dans une longue tradition ou le régime de la terre au Burkina Faso a facilité la mise en place de coopératives après la révolution sankarienne. Si l’économie sociale est une invention contemporaine et européenne, ses pratiques sont parfois plus anciennes sous d’autres appellations dans des sociétés africaines, asiatiques ou américaines. Il serait intéressant de voir des contributions sur des pratiques a priori éloignées de l’économie sociale et qui peuvent s’y rattacher ou s’hybrider avec.
Ce séminaire devra associer des chercheurs exerçant dans des pays anciennement colonisés. L’objectif n’est pas de traiter le sujet dans sa globalité et d’en tirer des analyses générales mais plutôt de susciter un élan par le biais de présentations ciblées, restreintes à une aire géographique, à une période et/ou à une des composantes de l’ESS.
L’histoire des empires coloniaux espagnols et portugais est trop ancienne pour y être abordée. En revanche, celle des empires coloniaux belge, britannique – les recherches y ont commencé – et italien, qui ont été très différents dans l’espace et dans le temps, sera traitée. Ce séminaire ouvert à des chercheurs étrangers, devra mener des comparaisons entre ces trois empires et celui de la France.
Ce séminaire pourrait s’ouvrir par un examen de l’état historiographique des lieux, associé à une recension des archives et bibliothèques conservant des sources sur la question. Il pourrait se clore par une synthèse de la situation actuelle des mouvements d’économie sociale dans les anciennes colonies.
Modalités :
Le séminaire démarrera en 2025.
Les propositions de communication devront être adressées d’ici au 4 janvier 2025 aux organisateurs du séminaire :
miche l.jacques.dreyfus[@]gmail.com et antony.kitts[@]laposte.net
Il est attendu des contributeurs qu’ils adressent un résumé de 5000 signes maximum comprenant :
- la problématique,
- la méthodologie
- 5 références bibliographiques maximum
- une présentation de quelques lignes de l’auteur.
Les résumés comme les communications pourront être faits en français ou en anglais. Les séances de séminaire sont prévues en présentiel ou visioconférence d’une durée de 2 à 3 heures maximum incluant 1 ou 2 communications selon les thèmes abordés. Des documents pourront être mis à dispositions.
Organisateurs :
- Chaïbi Olivier (Université d’Evry)
- Deblangy François (Université de Rouen)
- Demangel Dominique (Cédias-Musée Social)
- Desgré Steve (Université de Nantes)
- Dreyfus Michel (CHMC- CNRS)
- Georgi Frank (Université d’Evry)
- Kitts Antony (Université de Rouen)
- Marec Yannick (Université de Rouen)
- Siney-Lange Charlotte (ADDES)
- Toucas-Truyen Patricia (Recma, ADDES)